Les textes

Dans la série des chroniques de Rickelheim, des pastilles d’enfance

Le sourire sur la photographie

Là, c’est moi à 4 ans. La première et seule photo prise par le photographe. Et qui longtemps fut accrochée au mur de la chambre des filles.

Sur le lit recouvert d’une couverture rouge matelassé, le plumon , car il y  avait dedans les plumes et duvets d’oie et de canard. Que la photographie ne rend pas, hormis les bombés doux entre chaque surpiqûre.

Je suis habillée comme une poupée de celluloïd, une robe à plis en organdi blanc, les cheveux, bien coiffés, ma coupe au carré qui fait un casque brun, avec raie sur le coté assurée par une barrette ornée d’un gros noeud en satin blanc. Mes yeux fixent au loin l’objectif du photographe dont la tête disparaît derrière.

Je souris de toutes mes dents, de lait, sauf celle déjà tombée, en haut à droite, ce qui fait une légère imperfection. Charmante dissonance qui me distingue des poupées et me dit que c’était moi en vrai dont le photographe avait capté l’image dans son appareil noir à flash. Sur cette image, je vois une sorte de poupon au sexe peu différencié n’était- ce la robe et le noeud, joues rebondies, mains potelées, visage rond de bébé épanoui. Le poupon qui représente moi est habillé pour une cérémonie, et a pris la pose, l’immobilité requise pour l’opération « photographie » à figer pour l’histoire, pour l’éternité du papier glacé sur lequel le petit corps a été révélé, puis imprimé.

Je regarde ce qui il y a longtemps fut moi, une « moi » débutante dans la vie , et dont je me suis échappée, ou bien qui m’a quittée, ou bien qui s’est étirée avec les jours, les mois, les années pour s’oublier dans mon corps, dans mon être actuel lesté de quelques décennies de plus.

Difficile de s’y reconnaître au premier coup d’oeil.

Sauf peut être ce sourire, qui même édenté alors, flotte, paraît- il aujourd’hui encore autour de mes joues. Ce sourire qui ravissait mes amis, les proches, les parents, ma grand tante Katell surtout,autant qu’allaient les horrifier mes futures frasques d’adolescente rebelle.

Sourire, est- ce cela qui reste quand tout change dans votre vie ? Malgré les chambardements du coeur et du corps.

Avais je gardé ce sourire lors de mes pédalages fougueux sur le petit vélo rouge qui m’emmenait en classe les jours d’ école ?

Avais je gardé ce sourire en dansant avec les jeunes conscrits de la classe 1939 dont mes deux jeunes oncles faisaient partie, les danses de garçons qui lèvent la jambe, qui m’avaient attirée dans leur ronde endiablée, sans tenir compte des interdits de genre. Ces danses alors un peu folles, excitées, surtout que c’était avant leur départ pour l’ARMEE. Là bas, dans ces départements français d’Algérie d’où provenait le vin de Mascara à l’étiquette bleue palmiers. Oh comme tu levais bien la jambe, agile, disait la Rickemamema. tu serrais ta menotte dans la main de celle de ton oncle Camille. Un jeune Camille,de Gamil, là, splendide avec son chapeau orné de plumes, de rubans et de fleurs aux couleurs du village. J’entends encore sa voix dans ma tête. Mais il n’y eut point de photo, sauf celle parue le journal,les Nachrichten von de Zitung,  évidemment pas gardé sauf pour envelopper les légumes le lendemain. Elle racontait beaucoup la maméma, me rappelant le bonheur que j’avais eu de danser des danses de garçons, avec mes cheveux au vent, ma robe à plis qui virevolte, les joues rougies d’excitation, les yeux brillants de malice et la bouche qui sourit, rit à pleines dents. Plus fort que le timide sourire de l’angelot du AltÄr, l’autel dans lequel, comme les autres fillettes, je devais représenter un ange du Ciel, mains jointes, tête courbée pour ne pas être éblouie par la lumière du dieu caché dans une sorte de miroir doré strié. He oui, dans ces lointaines années 1950, nous, les filles du village catho devions figurer des anges, costumées d’une aube en satin blanc avec des ailes de cygne en plumes d’oie accrochées dans le dos, et ce, chaque année, lors de la procession de la fête dieu…Mon sourire, comme celui des conscrits, c’était celui du bonheur d’exister. Le sourire d’être là. Encore. Vivants. Ce sourire qui fait taire les « quand-dira-t-on » des bigotes et des curés effrayés par de telles manifestations de joie, cette joie simple, pleine, naturelle, d’être, d’exister, ici et maintenant.

Deux mois après la Fete Dieu, Camille était parti.Service militaire. En Algérie. Il n’est jamais revenu. Il a emporté avec lui mon sourire, en plus du sien, a dit ma mère. Il a aussi emporté le sourire de ma grand-mère du Neuderfl. Mais il ne les a pas volésiChapeaucocarde, ajouta ma mère. Tu peux sourire pour lui, pour elle. Les sourires çà se multiplie. Garde le aux lèvres.

Je l’ai gardé aux lèvres, le sourire. Même si parfois il avait  la fâcheuse intention de se tourner en rictus, en pensant au palmier bleu de l’étiquette du Mascara sous lequel oncle Camille était resté allongé.

M.VEGE

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