Les contes de Rickelheim

Prologue aux chroniques de Rickelheim

Le village de Rickelheim au début du 20ème siècle

Depuis l’annexion de 1871, et malgré l’émigration vers la France de quelques familles, le village est choyé par la nouvelle administration allemande. Ecole pour filles et garçons, avec Kindergarten, jardins d’enfants selon la philosophie de Goethe et de Rudolf Steiner, construction de digues contre les inondations, pont sur le Rhin, fêtes transrhénanes, camps militaires dans les villes voisines, à 10-20 km….Le village, fondé par les Romains il y a presque 2000 ans, s’épanouit au début du siècle, à la naissance de Katell.

Il y aura plein de personnages, ayant vécu à différentes époques, certains inventés, d’autres inspirés de personnes existantes ou ayant existé, comme Babeth, Emilio, Ottilia, Frédo, Caroline, Jane, Elise… et puis Katell.

Le personnage de Katell

Il se réfère à une personne qui m’est proche, ma grand tante, née en 1899, que je réinvente à partir de souvenirs, d’anecdotes et de notes pour en faire une des figures féminines marquantes des chroniques de Rickelheim, le village de mon enfance, figure et village désormais disparue et disparu du réel. Et pourtant là dans ces mots, dans ces textes… et qui peut éveiller d’autres mémoires, d’autres émotions surgies du passé pour mieux apprécier le présent.

Katell, Catherine Gabel, née Keller a traversé presque tout le 20ème siècle. Enfant à l’école du Kaiser, adolescente durant la grande guerre, passée du village à la ville comme femme mariée à un citadin, couturière indépendante revenue au village , puis veuve devenue croyante et restée ouverte aux autres, communistes, protestants, en droite ligne du catholicisme social alsacien, qui lui faisait dire que Dieu , si on veut y croire et se recueillir est là ou on le trouve, mosquée, synagogue,temple ou église, et même dans les champs. Femme seule qui a consacré sa vie au travail, à la couture et aux autres, elle a mûri, vieilli, présentant une silhouette familère aux villageois grands et petits. Femme veuve et sans enfants, elle a souvent été choisie comme marraine. En alsacien, la marraine, se dit s’Muetterlein ( la petite mère), ce qui définit exactement le rôle originel dévolu aux marraines et parrains, à savoir donner à l’enfant un référent social, au delà de la famille biologique, un référent investi par une personne, choisie par les parents, et qui accepte et assure le rôle de seconde maman. Au temps où la mère avait un risque réel de mourir en couches, la petite mère s’engageait moralement bien au delà des cadeaux de Noel, d’anniversaires et de fêtes religieuses, ( d’ailleurs, la fête de Saint.es du prénom porté était plus célébrée que la date anniversaire de naissance, parfois aléatoire à cette époque..).

Katell la veuve sans enfants a ainsi accepté de s’occuper de beaucoup de jeunes.

Celles et ceux qui prenaient le temps de l’écouter elle racontait des choses de la vie, de sa vie. Parfois des choses très fortes. J’ai pu recueillir quelques unes de ses histoires, qui seront peu à peu introduites dans les chroniques de Rickelheim, notamment à partir de ses réminiscences de son vécu jeune fille avant et pendant la première guerre mondiale.

L’une met le focus sur le travail des femmes, l’autre sur une rencontre formidable entre 2 mondes.

Réminiscences exprimées dans des circonstances familiales tristes, comme souvent, dont je me souviens…

« Cela a été pour moi très émouvant d’écouter ma nonagénaire de grand’tante, la demi sœur de ma grand’mère alors en réanimation à l’hopital de Strasbourg après être tombée dans le coma suite à un AVC dans l’étable où elle nourrissait les poules. Dommage que je n’ai pas eu le réflexe d’enregistrer sa voix de petite vieille toute menue, 36 kg et 1, 40, à la peau chiffonnée par le tannage des ans, au visage mangé par des yeux gris lucides et pétillants de cœur, surmonté du chignon-bibi qu’elle se confectionnait tous les jours depuis tant d’années.

En me racontant l’épisode de la cigarerie, elle s’était redressée du fauteuil, j’avais approché mes oreilles et vu, au delà des sa fine peau dont chaque grain sentait l’excuse d’être encore en vie dans ce siècle aussi vieux qu’elle, j’avais vu s’allumer une lueur coquine dans ses yeux sans cils à l’évocation lentement récitée de ces journées lointaines, des cigarières assises sur le banc de fabrique, la jupe relevée sur la cuisse, dans l’odeur entêtante de cette drogue d’homme à laquelle elle même n’avait jamais goûtée que par procuration. »

Conte de Katell n°1: Katell, cigarière à la Duwakfabrik de Rickelheim-am-Rhein

Depuis 1910, quand Katell avait 9 ans, elle allait à l’école des filles. Et a observé de grands changements, le progrès : le chantier de l’électricité, avec le montage des poteaux par des « Beamte » de la société d’électricité de Strasbourg. Ces jeunes techniciens habillés en uniforme et casquette à visière lui plaisaient. Ils montaient le long du poteau en bois avec des drôles de serpes accrochées à leurs pantalons et s’élevaient en l’air pour accrocher les fils, et puis des lampes en porcelaine. Katell aimait bien regarder ces géants des airs, après l’école, et avant de retourner à la ferme aider sa mère, à faire tourner la maisonnée de 9 enfants.Peu après, la fin de l’école avait sonné et il fallait aller travailler, participer à l’économie familiale.Ses seules études supérieures se font par la vie, et le catéchisme. Katel à 12 ans devient ainsi cigarière chez le patron de la fabrique de cigares, que l’on appelle le Suédois, le Souabe, le « Schwoob », vom Schwoweland, de l’autre côté du Rhin, installée dans le village dpuis quelques années par cet industriel allemand du Reichsland, de l’empire allemand.

Même pendant la scolarité, au temps des vacances , et selon les besoins de « Inkommes de la famille, une dizaine d’enfants, elle faisait déjà la jeune domestique, la « Magd », la servante, la bonne,à la maison, aider sa belle-mère. Maintenant, il fallait aussi travailler pour rentrer de l’argent, on disait faire des travaux de « rapports » ( fer ‘s Geld, s’Inkomme) La Duwakfabrik, c’était spécial, mais d’un bon rapport, et moins pénible. Elle y allait avec d’autres filles du village, chez le Schwoob, dans l’atelier. Assises sur un banc, à la file, chacune, jupe relevée, roulait sur sa cuisse des feuilles de tabac, du Pfalzer Duwack, pour les Stumpfe. Ou alors c’étaient des petites feuilles d’une variété très spéciale qu’il fallait saisir par la tête, puis en écarter délicatement les feuilles pour préparer le roulage des futurs cigares appelés Sumatra ou Jamaïca, que les hommes riches, les Herren von Ditchland, achetaient en boites de 48.

A moins qu’ils ne se contentent des « Bleikasten » ou des Bengi, tabacs suédois, souabes ceux là, comme bientôt les officiers et les militaires.

En ce temps là, le travail à 12 ans, sous la loi allemande, c’était courant et libre, les enfants appartenaient à leur famille. La famille, le père, envoyait ses filles les plus évellées chez le contremaître, d’e Fabrikmeister, avec un contrat de gré à gré, la parole top là. Les horaires étaient élastiques, tout comme la paye, au gré des relations…..

Katell, ses sœurs et cousines ( le père Keller devenu veuf avait épousé la sœur de sa mère défunte, pratique patriarcale paysanne courante favorisant l’indivision des terres et la perpétuation des alliances) travaillaient , comme leurs autres camarades du village, insouciantes de l’heure exacte, des durées, juste ponctuées par les cloches du midi et du soir

A 14 ans, juste au début de la guerre, le réglement social allemand officialise enfin le travail des jeunes filles. Katell a ainsi reçu sa 1ere carte de travail, carte qui garantissait l’accès aux droits sociaux de l’époque ( congé maternité de 9 jours, par ex.)

Avec la carte se sont évanouies à 15 ans insouciance et élasticité des horaires, avec une horloge et une pointeuse..

Finies les possibilités d’allées venues entre la cigarerie, et la maison, (surveiller la cuisson du pain, la mémé, les animaux de ferme) ou l’école (chercher les petits au jardin d’enfants, au Kindergarte) ou pour faire des commissions, ou de manger sur place un en-cas, quitte à s’arranger entre filles…

et puis, c’était la guerre, et tout s’est accéléré…..Et après la guerre, elle a vu arriver les troupe françaises, une unité de tirailleurs sénégalais , très grand gaillards si beaux dans leur costume militaire rouge bleu et blanc, et leur chéchias rutilants à pompon. Mais si noir foncé de peau. A suivre

Conte de Katell n°2 « Quand Katell rencontre un tirailleurs africain », histoire vraie

Il était une fois…

Une jeune alsacienne dans le Reichsland Elsass Lotringen. Elle est née lorsque le XX siècle avait un an. Elle a grandi dans la langue allemande, la seule reconnue alors, a applaudi l’arrivée du train, de l’électricité et des Journaux, les Nachrichte. Elle a grandi à la Belle Epoque , vue à travers les affiches , dans le petit village de Rickelheim, sur la Moder, près du Rhin, der Rhein, der VaterRhein où naviguaient les bateaux de Bale à Rotterdam…

Puis vint la guerre, la grande guerre de 14-18, Katell a 16 ans, dans cette UnterElsass rattachée au Palatinat depuis 40 ans…La France est devenue lointaine, Le front des batailles est loin….

Elle a terminé son école depuis 4 ans, a appris les techniques ménagères, la couture. Mais depuis la guerre elle apprend aussi en cachette quelques mot de français.

Depuis 4 ans elle travaille à la maison, c’est pas le boulot qui manque, la mère, la Woener Franz est débordée, le père Keller livre ses marchandises avec le cheval et la charrette du matin au soir.

Elle ,. Katell, travaille à la cigarerie. La DuwakFrabrik, son frère Georges à la brasserie de Schilicke, l’autre jeune frère, le Sepp, a été réquisitionné par l’armée du Palatinat. Et il y a les petits, faut s’en occuper…

Katell à 16 ans rêve, se marier avec un de ces beaux garçons de la BahnhofGsellschaft, en uniforme bleu-gris et casquette à visière, ou bien avec un électricien de la StrassburgerElektrizität, avec leur casquette bombée, partir habiter enville, et surtout ne pas être mariée avec un paysan, de Bauern, plutôt un militaire, mais pas le Schwoob au casque à Pointe….Il sont trop « grob », frustes, arrogants…

Depuis le début de la guerre, le village et les alentours sont occupés par ces soldats du Reichsland qui cantonnent à 30 km du front, se font soigner, mais aussi recrutent les jeunes alsaciens du coin, mais c’est ..compliqué

Alors la Katell, elle travaille, trime et s’amuse, regarde les affiches de mode, rêve d’une machine à coudre… et roule les feuilles de tabac en cigares dans la Duwakfabrik, à l’automne, dans ses jupes de coutil bleu, les jambes gainées de chaussettes en laine, les pieds fourrés dans des sabots…Elle rêve aussi de beaux souliers vernis à bride, qu’elle a vu à Bishelheim, chez le marchand de chaussures , le PariserSchuheLade, «  Au vrai Chic »

Elle met de coté les sous que lui laisse sa mère à la Sparkasse du bistrot, pour Noël enfin la St Niklaus. Est ce que çà suffira ? Est ce que il y aura encore du cuir ?

Les jours passent, la guerre s’installe, longue, dure, dans les Vosges, la Meuse, bien au delà de la Moselle . A Rickelhiem, les enfants, bien à l’arrière du front, entre l’ennui,passent de l’ennui à l’excitation apeurée, et aux paris , surtout avec l’arrivée des prisonniers et soldats blessés qui rejoignent les hôpitaux militaires de Hainigau.

Depuis quelques mois, on ne sait que croire, le Kaiser, les ouvriers qui discutent à voix basse dans les arrière salle des Stube, la belle mère, qui dit, pass auf, faites attention les filles, aux soldats qui trainent, et aussi à votre santé. Les hivers sont très froid alors. D’ailleurs sa vraie mère est morte en couches et d’un coup de froid.

Et il y a ces mouvements de troupes.. on dit que les Français arrivent, les Schwoobe ne se sentent plus chez eux dans ce coin d’Elsass Lothringen où les gens ne disent rien, mais ne font rien non plus pour le Kaiser. Alors qu’ils ont été bien traités les alsaciens, école, même pour les filles, du travail, fabrique de jute, du pétrole même à Pechelbronn, et ces nouvelles machines agricoles qui soulagent les paysans..

Mais…..Il y a les souvenirs de la France, et puis cette la guerre meurtrière, certains jeunes du voisinage sont morts au champ de bataille…et depuis un an la révolution. Fin 1917 tout flotte…Le village couve des idées de liberté sous les apparences de calme et d’obéissance. Les églises se taisent, le Kaiser est quand même protestant….

Katell elle écoute, observe, papote à l’église avec les copines, lit les affiches en allemand et espère….

1918, enfin, la guerre se termine, à Bieselheim, à Hainigau, on chuchote que l’armée française se rapproche, les casques à pointe eux se font discrets et refranchissent le pont du Rhin. Le Obermeister fait tourner la cigarerie au ralenti. Les villageois se taisent, attendent, c’est le couvre feu. Puis le retrait.

Et puis, les affiches sont placardées, le crieur au tambour fait rouler la nouvelle: c’est la trève, puis l’armistice, bref, la fin de la guerre. Presque. Ende des Krieg !!!

Une troupe arrive de la route de l’Ouest, avec le drapeau BleuBlancRouge

Les Français..

…Katell est sortie de la maison,comme tous les villageois qui font la haie le long du trottoir

Et voit arriver des fantassins, et puis un rang de soldats en tenue chamarrée, chéchia rouge sur la tête, fusils à baïonnette en travers de la poitrine, pantalon bleu et guêtres que surmonte une veste à double boutonnage, veste surmontée de visages souriants, aux yeux brillants, entourés d’une peau ..tout noire NOIRE.

Katel ramène ses yeux vers les mains. Gantées .

Etait ce possible une peau si noire ? Une vraie ?

Dans les Affiches publicitaires pour le cacao, on les appelait « Chocolat » ces hommes noirs, mais les Schwoobe disaient que c’étaient des Kannibal. Ils faisaient peur sur les affiches, dans les journaux, sur les boîtes peintes, dessinées ..

Les jeunes filles , les enfants regardaient, se regardaient stupéfaites, les soldat au visage noirs,

Katell, avec l’énergie soudaine des timides, sort du rang, s’approche du soldat Noir, lève le bras et lui demande « je peux toucher ? » TOUCHER

Le soldat tourne son visage ,vers la mädchen en costume alsacien de fête, jupe noire avec tablier rouge orné d’un ruban de satin, corsage brodée et cheveux tressés en chignon. Katell plaque hardiment sa paume ouverte sur la joue du soldat sous les cris excité de ses camarades.Elle touche et touche encore, en frottant la peau noire. Puis elle regarde sa main, elle la montre aux autres : sa main est propre, non ce n’es pas du cirage noir !!

Le soldat et ses camarades sont bien de vrais Noirs, avec une peau comme la nôtre, des pores, de la sueur, des poils, çà gratte, mais elle est noire !!! Katell dit merci et applaudit des 2 mains.

Le soldat et ses compagnons lui sourient. Vive la France !

Elle a touché la France et l’Afrique tout en un. Formidable souvenir

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Les contes de Babeth  Chroniques enfantines

Babeth et La porte close

Babeth n’a jamais froid aux yeux. Son ami Emilio, le fils unique de sa voisine Thérèse,un grand, il avait 2 ans de plus qu’elle, avec plein de capacités qu’elle n’avait pas encore, comme de voir , sans tabouret, les choses qui étaient restées sur la table de cuisine, de les attraper, pour qu’elle les renifle, les suce, les tripote, et lui demande à la fin, c’est quoi ? Avant de l’entraîner, sans attendre de réponse, dans d’autres aventures exploratoires, autour d’autre meuble de la nouvelle maison, dans les couloirs interminables, dans le grenier si haut, si vaste qu’on y voyait le clocher de l’église comme d’un avion dans les airs. Et surtout,aller dehors. Dehors, un univers immense, pour ses petites jambes de 5 ans.Dehors, avec Emilio, elle avait le droit, elle avait la foi.

Dehors, c’était la grande cour de ferme pas encore macadamisée, avec la petite maison en bois surmonté d’un toit de taule bâchée avec la toile enduite de goudron, que les amis américains avaient laissé traîner là. Dehors, d’autres gravats encombraient le sol, témoins muets de la vie avant, pendant et depuis la guerre, celle qui avait creusé ces trous dont il fallait se méfier, car c’était peut être des trous sauteurs. Dehors, où que les « vrais » grands peinaient à se débarrasser de ces restes dangereux, qu’ils préféraient oublier, occupés qu’ils étaient par les travaux de tous les jours, et par la reconstruction.

Dehors, c’était cette fantastique piscine d’eau, certes un peu grise, qui remplissait un carré de béton, et où, lui avait raconté Thérèse et mamama et d’autres encore, il y avait la baraque construite rapido après les bombardements, de 44, et quand les militaires sont venus au pas de charge leur monter ces maisons pour réfugiés-sur-place, qui n’avaient plus à bouger parce que la guerre était finie, l’Alsace redevenue française, hourra, mais qui n’avaient plus de maison non plus, la maison familiale détruite comme tout le village ou presque. Le village,il avait eu le malheur de se trouver le long du Rhin, juste là où il a fallu livrer bataille contre le méchant moustachu.

C’est ainsi que pendant quelque temps, plus personne ne sait combien exactement, tellement de papiers avaient brûlé, et les mémoires défaillaient encore pas mal, la famille de Babeth, coté paternel, avait été « réfugiée de l’intérieur », on les appelait alors des « sinistrés ». Grâce à quoi, 10 ans après le déluge des bombes, le grand père avait obtenu les dommages, ce sont des sous, les dommages, qui enfin permettaient la construction de la nouvelle maison, grâce à l’argent du ministère de la Reconstruction.
Entre temps, le grand père avait, dans l’euphorie de la paix retrouvée, de la solidarité citoyenne, cédé à la Mairie le terrain de devant, qui fait depuis une si jolie place du Général De Gaulle.
Les nouvelles,et belles maisons qui maintenant bordent la place sont toutes modernes, avec l’eau courante, wouah, et les cabinets blanc-propres, et des salles de bains à part, avec un chauffe eau pour le bain du samedi : le vrai confort bourgeois, comme chez les les seigneurs les Herren. La maison de Babeth était la plus grande. Elle n’était pas finie-il y manquait la peinture, on y voyait les briques, bien solides, bien rouges, fabriquées à Soufflenheim. Le grand père avait prévu 3 appartements , à part, pour lui, son fils, sa fille et elurs familles. Et, au rez de chaussée, l’épicerie de la grand mère. La ferme, les bêtes, les machines dans des bâtisses à part, c’est plus hygiénique. Tout neuf, tout confort, donc, bien que les briques ce ne soit pas la noblesse des pierres de granit des Vosges des 2 vieilles fermes à l’ancienne des hobereaux, épargnées par les bombes de la délivrance.
Babeth s’en fichait, l’univers de son monde à elle était déjà assez vaste pour exciter sa curiosité . Juste à coté, à l’avant de la cour, restaient les fondations pas comblées de l’ancien « HolzHiesel » avec des restes de « sinistrés mäwele » en sapin , mal fait pour le menuisier sourcilleux qu’était mon grand père (il y avait des « oeils » dans le bois de planche, et il était trop jeune ce bois, il allait se gondoler.
M’enfin, ils y ont été à l’abri, bien mieux que les soldats sous tente bâchés de toiles de goudron, qui sentait fort. Et Babeth y trouvait matière à s’émerveiller. La cour c’était un espace du Dehors plein de traces et de mystères, traces d’avant leur vie, d’avant leur histoire à eux.

Certes,explorer la nouvelle bâtisse avait ses charmes. Surtout l’épicerie, coté comptoir à bonbons, carambars et « schnecke », ces drôles de coquillages ronds, blonds et dodus,un peu striées comme des ridules de sable sous la brise, remplis de sirop durci , vert menthe ou rouge grenadine. On enlevait délicatement le film transparent qui les protégeait, et puis, on tirait la langue pour lécher la surface lisse,la langue devenait rouge ou verte, c’était drôle.. et appétissant. On léchait, on se remplissait les papilles de saveurs sucrées. Et puis il fallait arrêter, alors on fourrait la coquille dans la poche du tablier, où elle collait le fond attrapant des minuscules bouloches de coton.Qu’il fallait méticuleusement enlever avant d’entreprendre une nouvelle session de léchage de sucre.

Certes, au bord le l’espace du dehors, il y avait les autres bâtiments, la grange, l’étable, la Buddik, et cette drôle de construction mi ancienne mi moderne, avec une entrée de cave traditionnelle, où paraît-il  on se cachait pendant les évènements:

LESEVENMENTS, pendant longtemps Babeth avait cru que c’était un seul mot pour dire un monstre, un géant, une chose inimaginable.

Ces autres bâtiments étaient interdits aux enfants. La grange parce que c’était un espace immense, aussi haut du sol au toit que l’église ou l’abbatiale de Marienthal. Même Emilio regardait le faîte du toit, d’où pendait le treuil pour l’élévator à bottes de foin, avec respect pour la distance qui donnait le vertige. Il avait 7 ans, l’âge de raison. Pas Babeth. La petite fille, vive comme l’argent se tournait vers son grand copain, portait son pouce vers ses lèvres, avec une moue malicieuse, des yeux angéliques : « tu as peur ? »

Non, non, mais… Sans attendre, Babeth lui prend la main, et l’entraîne vers le treuil, puis non, bifurque. Ils courent entre les poules de la basse cour, en effraient quelques unes, et hors d’haleine, se retrouvent plus haut, près du soupirail de la cave traditionnelle. La CAVE interdite. Celle où ; un autre jeudi, ils avaient gouté au vin, ce liquide rouge apprécié des hommes et q’ils avaient recraché avec dégoût. On y retourne ? Pour aller plus loin, après le cellier, tu sais, là où…..

Les enfants s’escriment sur les 2 ventaux en diagonale. Ils sont lourds , ils s’y mettent à 4 menottes, soufflant, joues gonflées et rouges sous l’effort. Rien  personne ni à droite, ni à gauche, Han Ho. Un vantail se soulève, les mômes descendent les marches, se fondent dans le noir; Babeth prend la main d’Emilio dans la sienne. Ils avancent à tâtons dans un noir d’encre. Ils avaient oublié à quel point, ce noir absolu. Un noir oublié de nos jours où l’éclairage public permanent et les rayons bleus des écrans multiples palissent les heures nocturnes.
Oh, deux yeux les regardent là à droite, un rat-des champs, avec de belles moustaches -mais ..beuark. Les deux enfants se serrent l’un contre l’autre.
ZziZZZZI, quelque chose court sur le gilet côtelé d’Emilio, araignée, cafard , chauve- souris ?Les 2 enfants avancent à pas comptés, et chuchotent : Milio, la porte du fond, après les bouteilles de vins, tu te souviens de ce qu’en racontait Tante Katell ? Ouf, une lueur venue du 2ème soupirail grillagé vient mourir sur le verre des bouteilles couchées sur la paille des étagères. Les enfants écarquillent les pupilles : des vins, des vins, couchés par dizaines. Mais quel intérêt les hommes trouven- ils à boire ce truc rouge plus foncé que le sang, plus aigre que le lait fermenté, plus épais que la limonade, et aussi savoureux que la véganine écrasée dans de l’eau bouillie prise par la grand mère contre ses maux de tête!!! Babeth et Emilio pouffent nerveusement en se rappelant leur dernière équipée dans le cellier, quand ils avaient chipé une bouteille et goûté. Beuark !! Ils sont fous ces adultes, d’interdire ce breuvage aux enfants : on n’en veut pas, pouah.

L’exploration continue, vers la vieille porte bardée de fers cloutés. Contourner un amas un peu gluant, un nid de chenilles ?Trouver l’angle , à droite, où plus personne ne va, depuis que….
Depuis que Tara, la fille aînée, la tante de Babeth s’en était allée, Pfouitt, disparue, nada, pas de nouvelles, rien, pas d’adresse, pas de lettre. Rien de Rien.Un blanc, le néant.D’ailleurs on ne prononçait plus son prénom, à Tara. Babeth ne s’en rappelait que parce Milio, lui l’aimait bien. Elle lui lisait des histoires, des histoires de chevalier et de voyages quand Babeth en était encore au biberon.C’était l’époque des baracke hiesele, l’une à coté de l’autre. Tara lui parlait aussi, d’un prince qui venait parfois à la fenêtre de la chambre. A ces moments là, Emilio, s’endormait très vite , avant la fin de l’histoire, fasciné par la pierre colorée agitée par le jeune homme sous son nez.
Et puis Tara avait disparu. La pierre mystérieuse aussi. Depuis que Babeth avait entendu les confidences de son Milio, çàd depuis 3 mois, elle le taraudait pour retrouver cette pierre mystérieuse, qu’elle avait nommée la pierre du «Sommebéat ». Ils avaient cherché d’abord dans la chambre des 2 mamans, avec qui Tara avait dormi ces années de chantier ; Rien. Ils avaient cherché dans les ruines du BarackeHiesele.  Rien. Puis dans la petite maison-WC, le « Schiesshiesele, dans la remise à coté des toilettes. Rien. Et puis, il y a eu ces mots de la tante Katell sur la vieille cave conservée depuis le nouveau chantier, et sur les fondations de laquelle on avait reconstruit en partie la « Buddik »et son bric à brac.

Et au fond, cette vieille porte condamnée. Une vraie porte de prison. Ils n’arrivaient pas à l’ouvrir, pas même à la secouer un tout petit peu. Babeth repéra une fente dans une planche supérieure. Emilio lui fait la courte échelle, elle colle son oeil dans la fente .et VOIT… Rien, d’abord, du noir, encore du noir.. ; Et puis, un rayon jaune frappe sa pupille. Babeth crie, Emilio lâche la prise, les 2 enfants s’écroulent sur la terre battue devant la porte. Ouille, c’est dur, tiens, la dessous aussi, il y a un interstice… Par où passe le rayon jaune. Les 2 enfants essayent de le toucher du doigt, mais les doigts traversent le rai lumineux, sans l’attraper, ni le casser. Le rayon Jaune garde son mystère.
Il allaient se relever encore endoloris et ébahis de leur escapade lorsque le rayon jaune s’arrête au bas de la porte, près du gong fixé dans un moellon gris à moitié rongé par le salpêtre. Entre les poussières de pierre, le rayon y souligne 4 lettres gravées T. A. R.A.. Qu’est ce que cela veut dire? Babeth et Milio se relèvent, fatigués et intrigués à la fois. Quand vient du dehors, une voix exacerbée , « petits chenapans, vous avez encore été dans la cave interdite ! Allez sortez, que je vous apprenne à obéir !! » Cette voix !

C’est Thérèse , la maman de Milio.Frissons dans l’échine des petits. On ne résiste pas à la grande résistante que tout le village salue en y achetant son journal… Il ne leur reste plus qu’à sortir, penauds, par où ils étaient entrés. Devant le vantail de cave largement ouvert, Thérèse, les mains sur les hanches, les attend de pied ferme, avec dans la main gauche une poignée d’orties. Oh là là Il allaient avoir la fessée bio-urticante, celle qui va leur exciter les sangs pour leur calmer l’excitation de leurs esprits trop curieux…
Thérèse s’assied sur la chaise de vannier toujours adossée contre le mur de la buddik , leur fait signe de venir grimper sur son giron. La rançon de la liberté va rougir leurs fesses.

Heureusement, ce n’est pas la ceinture du grandpa ou le martinet à noeuds de la mère Monique. Les enfants crient et pleurent, mais, c’est à cause des orties, pas de la main de Thérèse qui reste calme dans l’exercice de son autorité de mère moderne et solidaire. Elle sait que,demain, ils recommenceront. Quand même. Mais avec plus de plomb dans la tête.

Parce que les questions sensés cherchent des réponses.
« Thérèse, hoquète Babeth entre 2 coups d’orties, » Elle est partie où, Tara ? Dans un ciel qui est sous la cave ? »
MVégé , 13-12-2016

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